dimanche 6 mars 2011

Toulmouche, vieux de la vieille

Julien Toulmouche est le chirurgien major major de la Sérapis. Sa solde de 120 livres, contre 50 pour Jean Marie, révèle son âge ou son expérience.
Le dictionnaire des médecins de la marine, établi par le service historique de la marine, précise que Toulmouche est chirurgien depuis 1746, onze ans avant la naissance de Jean Marie son troisième adjoint.
Il officiait sur le Phélippeaux en 1753-1754. Il est sur la Danaé en 1761 où il est fait prisonnier par les anglais à Pondichéry.
Il est à nouveau à Pondichéry en 1769 sur l'Indien puis il fait campagne en Chine sur le Fitz James.
Les anglais le capturent à nouveau en 1780 à bord de la Capricieuse. Il passe peu de temps dans les geoles anglaises puisqu'il embarque sur la Sérapis en 1781.
Fin 1781 quand l'équipage de la Sérapis est réparti sur les différents vaisseaux de l'escadre de Suffren, il est affecté sur l'Ajax où le chevalier de Froberville mentionne son nom dans ses mémoires.

Il quitte probablement le service actif en 1785 à l'issue de la campagne de Suffren. Ses états de service sont certifiés à Lorient cette année là.

Thévenard et Trublet : deux noms connus en leur temps

Jem Thévenard figure sur la liste des officiers. Il est probablement très jeune et connaît là son premier embarquement ; en effet sa solde se monte à 30 livres par mois, une somme très modique parmi les officiers. Par ailleurs le rôle ne précise pas son grade ni sa fonction. Dans ses mémoires le chevalier de Froberville mentionne Thévenard dans l'état-major de l'Ajax au cours de la campagne indienne de Suffren.
Il est probablement de la famille d'Antoine Jean Marie Thévenard, capitaine de vaisseau, qui commande la marine à Lorient depuis 1779. Antoine Thévenard a embarqué pour la première fois à 12 ans sur les vaisseaux de la compagnie des Indes, il sera ministre de la marine de Louis XVI en 1791, puis préfet maritime à Lorient, Rochefort et Toulon. Il décède en 1815, il est inhumé au Panthéon.
Son fils Antoine René, capitaine de vaisseau, meurt à Aboukir, face à la flotte de Nelson.

Trublet de Villejégu  est enrôlé sur la Sérapis avec le grade de capitaine de brûlot. Il s'illustrera durant la campagne de Suffren sur la côte de Coromandel au poste de commandant en second du Flamand. Il en prend le commandement au combat lorsque son commandant, le capitaine de vaisseau de Salvert, est tué le vendredi 20 juin 1783 lors d'un engagement avec le Gibraltar un anglais de 80 canons. C'est le dernier combat de l'escadre de Suffren contre celle de l'amiral Hugues. Il met en fuite la flotte anglaise pourtant supérieure en nombre et permet de secourir la garnison française de Goulelours (aujourd'hui Cuddalore) encerclée par l'ennemi.
Le 31 juillet 1784 à Versailles, le maréchal de Castries écrit au commandant de Brest :
"Parmi les grâces que le roi a accordées, Monsieur, aux officiers qui ont servi dans l'escadre de l'Inde, ceux de votre département sont compris pour celles ci-après, savoir :
... le sieur Trublet de Villejégu, capitaine de brûlot pour la campagne, de Lorient, le grade de lieutenant de vaisseau et la croix de Saint-Louis ...".

En 1802 à Rennes où il s'est retiré, le citoyen Trublet fera paraître une "Histoire de la campagne de l'Inde sous les ordres des M. le Bailli de Suffren". Malheureusement il n'y consacre pas une ligne aux mois qu'il a passés sur la Sérapis avant d'être intégré à l'escadre de Suffren.


Roche, commandant de la frégate Sérapis puis de la Betsy

Roche, le commandant, dont nous avons noté la présence au mariage de Vincente la future belle soeur de Jean Marie, participera à la campagne du bailli de Suffren sur la côte de Coromandel de décembre 1781 à juin 1784. Je ne lui ai pas trouvé de rôle de premier plan ; la perte de la Sérapis a-t-elle pesé dans l'esprit de Suffren ? c'est probable, même si l'enquête montrera que Roche n'en est pas le responsable direct.

Dans ses "Mémoires pour servir à l'histoire de la guerre de 1780 des Français avec les Anglais dans l'Inde" (Chailles-1986) le Chevalier Barthélémy Huet de Froberville rapporte les faits suivants :

En février 1782 l'escadre de Suffren est au large de la côte de Coromandel, entre Madras et Pondichéry. Le dimanche 10 février, la frégate La Fine, commandée par le capitaine Salvert, intercepte un deux mâts anglais, la Betsy. Ce navire arrive du Bengale et se dirige vers Madras avec cinq cent mille livres pour payer les troupes anglaises, mais aussi du drap, des étoffes et des tentes.

Le 10 mars, les troupes françaises débarquent à Porto-Novo (aujourd'hui Parangipettai, une ville de 20 000 habitants dans l'état du Tamil Nadu) sous les ordres du colonel Duchemin.
Le 12 mars Suffren confie à Roche le commandement de la Betsy avec ordre de rejoindre l'île de France pour apporter la nouvelle du débarquement en Inde. Il remet à Roche une série de lettres détaillant ses intentions et exprimant ses besoins en renfort et en ravitaillement.  Ces documents précieux n'arriveront jamais à Port-Louis.

Suffren l'apprend le 6 juin 1782. Ce jour là son escadre arrive à Trinquebar une colonie danoise proche de Karikal (aujourd'hui Tharangambadi dans le Tamil Nadu). Il y découvre un vaisseau français échoué à la côte. Commandé par M. de Maureville de l'Angle, il avait quitté l'île de France le 25 janvier pour mener le combat en Inde. Chemin faisant il croise la Betsy et la prend en chasse. Avant que les deux commandants n'aient le temps de comprendre qu'ils sont tous deux français, Roche craint de voir tomber la précieuse correspondance de Suffren entre les mains des Anglais et la jette à la mer.

Dans les mémoires de Froberville on retrouve la Betsy le 9 avril 1783 à Trinquemalay (aujourd'hui Trincomalee au Sri-Lanka). Il ne précise pas si Roche en est toujours le commandant. Depuis la veille l'escadre a repéré un deux mats au comportement étrange, donc peut être anglais. Le lendemain ce navire mouille dans la rade, c'est la Betsy qui arrive de Batavia.

Le 7 juin de la même année Froberville mentionne un nouveau départ de la Betsy pour l'île de France, probablement une nouvelle fois expédiée vers Port-Louis pour apporter des nouvelles et des demandes.


Qui sont les compagnons de Jean Marie ?


Le rôle d'équipage de la Sérapis révèle que l'équipage comporte un grand nombre de très jeunes hommes, de 14 à 18 ans. Quelle était leur vie, pour quelles raisons ont ils embarqué, que sont ils devenus ? Impossible à dire pour la plupart d'entre eux, l'Histoire les a avalés en ne laissant comme témoignage de leurs existences que les registres de l'Etat civil et le rôle d'équipage de la frégate conservé au Service Historique de la Marine à Lorient.

On trouve néanmoins des éléments sur certains des officiers de la Sérapis dont la liste apparaît sur la rôle d'équipage ci-dessous.

Sur la première page du rôle ci dessus à gauche on trouve trois noms connus : Roche le commandant, L'Héritier le second qui sera responsable du naufrage de la frégate (évènement qui sera relaté ultérieurement) et Trublet. Sur la seconde page on lit les noms de Thévenard et Toulmouche, le médecin major, le chef direct de Jean Marie.


jeudi 3 mars 2011

Il y a 220 ans, Jean Marie quitte son pays sur la Sérapis

Copie du rôle d'équipage de la Sérapis. Jean Marie est mentionné sur la deuxième ligne de cette page



Il y a 220 ans presque jour pour jour, le 21 février 1781, Jean Marie Michel Noel quitte son pays pour ne plus jamais y revenir. La Sérapis, 900 tonneaux, 44 canons, frégate du roi Louis XV, appareille de la rade de Lorient.  
C'est une frégate célèbre, dont nous reparlerons, sur laquelle Jean Marie navigue pour la première fois. Il est enregistré sur le rôle d'équipage comme officier non marinier, troisième chirurgien. Il n'est pas un officier et ne partage donc pas la table du commandant ; il est non-marinier, c'est à dire qu'il ne participe pas à la manoeuvre du bateau. Parmi les officiers non-mariniers on trouve les trois aides chirurgiens, un armurier, un boulanger, un boucher...

Il y a 356 personnes à bord, dont 15 officiers, 32 officiers mariniers, 12 officiers non-mariniers, 40 matelots, 63 novices, 11 volontaires d'honneur, 9 pilotins, 40 volontaires de la Légion d'Artois, 26 mousses et 10 domestiques. Il y a un suisse, un portugais, un allemand du Palatinat, musicien (Georges Schreck), cinq espagnols, trois natifs des Amériques mais aux noms français (Thomas Paguer, Mathieu Equeur, Georges Boret)

Le rôle d'équipage stipule que Jean Marie Noel est le fils d'Yves, qu'il est né à Vannes, qu'il a 23 ans, qu'il est de taille moyenne, que ses cheveux sont bruns. Son salaire mensuel est de 50 livres, il a touché une avance de 200 livres. C'est une rétribution modeste. Le second chirurgien Jean Baptiste Thébaud touche 80 livres par mois, le chirurgien major 120, et le commandant 250. 50 livres c'est la rétribution moyenne des officiers mariniers, beaucoup plus que les mousses, le novices et le pilotins qui reçoivent 12 voire 10 livres sans avance. Marin Higuet, le domestique le mieux payé à bord reçoit 80 livres mensuelles, probablement en raison de ses 47 ans.

Le commandant de la Sérapis est le lieutenant de vaisseau Roche. On a vu dans le post consacré à Henriette qu'à la fin de la même année 1781, il est le témoin de l'époux de Vincente, la soeur cadette d'Henriette qui épousera Jean Marie 10 ans plus tard.

Mais en ce mois de février 1781, Roche et Noel n'appartiennent pas au même monde même s'ils naviguent sur la même frégate. Roche a décroché ce commandement et bataillé ferme pour constituer son équipage. Il est expérimenté, il écrit au marquis de Castries pour obtenir de l'aide pour son armement. Castries a écrit à M. Thévenard, commandant la marine à Lorient, pour lui demander de faciliter la constitution de l'équipage de la Sérapis. Il est même envisagé, au cours des longs mois de préparation de charger la frégate d'un trésor en piastres pour financer les expéditions à venir de M. de Suffren.

On est en pleine guerre d'indépendance américaine, les escadres de de Grasse et d'Estaing se battent en Amérique et aux Antilles contre la flotte britannique, aux côtés de Washington. La main d'oeuvre maritime est rare ce qui a certainement favorisé l'enrôlement de Jean Marie après quelques années d'apprentissage de la chirurgie.

mercredi 2 mars 2011

Quelques mots sur Martial

On l'a vu, dans le post précédent, Martial est au chevet de sa mère lors de son décès à Moka en mars 1821.

Il a alors 28 ans puisqu'il est né à Moka en 1793, deux ans après le mariage de ses parents. Il est orphelin de père à 10 ans au décès de Jean Marie. Les registres d'état-civil montrent que la famille Noel est restée liée aux familles Le Gentil et Bourgault du Coudray malgré le remariage assez soudain d'Henriette.

Son oncle René François Le Gentil est cité comme témoin de sa naissance. Parmi les témoins de son mariage on relève Jean Marie Pierre Noel, son frère, mais également Jean René Bourgault du Coudray, son demi-frère, né du premier lit de sa mère.

Martial se marie en mars 1816 à Port-Louis. L'île vient de passer sous domination britannique. Il épouse Jeanne Broer née la même année que lui, mais à Montpellier. Elle à débarqué dans l'île en septembre 1802 sur l'Eugénie.
Six ans plus tard, à 15 ans, elle épouse en premières noces un capitaine de la marine marchande, Laurent Pineau, dont elle divorce le 26 mai 1815, trois semaines avant la chute de Napoléon à Waterloo. Moins d'une année plus tard elle se remarie à Martial.

Martial est commissaire civil, un emploi terrestre et stable. Il est probablement installé à Mon Désert, Saint Pierre. C'est là que Jeanne décède d'apoplexie en mars 1868 à 75 ans. Martial ne lui survit que quelques mois et meurt à Mon Désert en novembre de la même année après 52 années de vie commune.

Entre la naissance de Jean Marie à Vannes en 1757 et le décès de son fils Martial à Mon Désert en 1868 il s'est écoulé plus d'un siècle et cinq régimes politiques en France. Jean Marie est né sous le règne de Louis XV, a quitté la France sous celui de Louis XVI, s'est marié sous la révolution, est décédé sous le premier Empire, son fils Martial s'est marié à la veille de la Restauration, est devenu sujet britannique puis la France est entré en seconde République, il décède alors que Napoléon III règne, deux ans avant sa chute.
C'est la guerre d'Indépendance américaine qui a, indirectement, permis à Jean Marie de quitter le Morbihan pour faire souche à l'île de France. Lorsque son fils Martial disparaît, la guerre de sécession américaine vient de s'achever.

source Filiations mauriciennes, Noel Régnard, Esclapon 1975